La construction navale traditionnelle, basée sur des assemblages minutieux entre pièces de bois, a été profondément bouleversée avec l’arrivée des résines époxy thermodurcissables.
En effet, les produits époxy ont rapidement conduit à des progrès décisifs dans la construction en composite bois.
Car les propriétés mécaniques du bois sont optimales à 10% d’humidité mais chutent ensuite rapidement avec l’accroissement hygrométrique. Il importait donc d’isoler le bois utilisé sur nos voiliers du milieu ambiant. Et ce sont les résines époxy, qui maintiennent le bois entre 9 et 12% d’humidité, qui ont permis de conserver les meilleures qualités mécaniques et donc la stabilité dimensionnelle, gage de longévité, de ce matériau historique en construction navale.
C’est aux Etats Unis, dans les années 70, que la technique de saturation du bois à l’époxy a été mise au point par les frères Gougeon. Et leur méthode WEST (Wood Epoxy Saturation Technic) a donné naissance à la désormais célèbre marque WEST SYSTEM.
Le mariage bois / époxy a permis d’atteindre des résistances inimaginables auparavant et offre une réelle facilité d’entretien, il améliore donc tout à la fois la conservation et les performances du matériau bois.
L’utilisation de l’époxy sur un voilier vise principalement les usages suivants :
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Isolation du bois par un polymère étanche et adhésif
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Réalisation de pièces volumineuses et structurelles par la technique du lamellé-collé
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Utilisation de bois de faible densité
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Combinaison du bois et des composites fibres / époxy pour réaliser des structures sandwich performantes (ratio résistance / poids élevé)
Si vous souhaitez découvrir les bases pour vous lancer avec les résines époxy, vous pouvez consulter notre article Comment utiliser la résine époxy : quelles bases à connaitre avant de vous lancer ! qui vous permettra de tout savoir sur les mélanges de l’époxy bi-composante, les précautions d’utilisation, le choix des tissus …
Dans cet article, nous allons vous détailler trois techniques, courantes et stratégiques en construction navale, d’utilisation de l’époxy avec le bois, :
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l’imprégnation des bois
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le collage des bois
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l’assemblage par joint congé
L’imprégnation des bois à l’époxy
Une imprégnation du bois à l’époxy permet de :
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renforcer la dureté superficielle du bois
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constituer une barrière contre l’humidité
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assurer une meilleure résistance et longévité du bois
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améliorer l’adhérence lors d’un collage
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réduire l’entretien
Elle peut se pratiquer sur tout type de pièces de bois, massif ou contreplaqué.
Pourquoi opter pour une imprégnation à l’époxy ?
Une imprégnation à l’époxy est très fortement recommandée pour protéger vos pièces de bois dans les cas suivants :
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pièces de contreplaqué réalisées en « tout okoumé », bois assez tendre et de durabilité moyenne, si elles ne sont pas déjà protégées
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chants de contreplaqué, quel que soit le type de contreplaqué, en vue d’un collage ultérieur
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bordées en petites lattes (en particulier si non stratifiées) pour réduire les effets des variations d’humidité
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surfaces devant recevoir ensuite une stratification
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surfaces avant peinture ou verni (sous réserve de compatibilité)
De nombreux voiliers construits en contreplaqué n’utilisent pas de contreplaqué dit « marine » mais plutôt un contreplaqué CTBX extérieur entièrement imprégné ou fibré avec de l’époxy et donc complétement étanche.
Si vous optez pour l’imprégnation époxy d’une pièce de bois, cette dernière devra être totale, c’est à dire réalisée absolument partout, côté intérieur et côté extérieur, pour enfermer complètement le bois (on parle alors d’encapsulation) et réduire le plus possible ses variations d’hygrométrie interne.
En pratique, l’encapsulation n’est possible que sur des structures légères et d’épaisseurs modérées.
L’imprégnation de résine va être également profitable pour les collages du bois que nous verrons juste après. En effet, l’adhérence d’un collage sur un bois imprégné d’époxy sera meilleur et le collage d’autant plus résistant.
Et une nouvelle fois, comme les collages se situent souvent au niveau des champs, il est essentiel d’apporter une attention toute particulière à l’imprégnation de ces derniers.
Comment réaliser l’imprégnation d’une pièce de bois ?
Avant d’en venir à la méthode d’imprégnation des bois, un petit rappel sur la température d’utilisation des résines époxy s’impose. En effet, il faut garder en tête qu’une température basse augmente la viscosité de la résine.
Or pour l’imprégnation du bois, mieux faut utiliser un mélange bien fluide, la qualité de votre travail n’en sera que meilleure, alors veillez toujours à respecter une température comprise dans l’idéal entre 20 et 25°C, ce qui facilitera l’obtention d’un mélange homogène et l’imprégnation de votre pièce de bois (sans oublier également de vous référer systématiquement à la fiche technique de votre produit).
Au préalable, votre pièce de bois à imprégner doit être poncée et nettoyée.
En cas d’utilisation d’un contreplaqué, il est grandement préférable de réaliser l’imprégnation avant montage de la pièce dans le bateau. Le travail pourra ainsi en effet se faire à l’horizontale et dans une position sans nul doute plus confortable, et les chants du contreplaqué pourront être traités abondamment.
Pour l’imprégnation, il est recommandé d’utiliser un rouleau jetable à poils cours pour étaler et faire pénétrer la résine. Le type de rouleau le mieux adapté est le rouleau appelé “velours ras” car les rouleaux avec des poils longs laissent trop de relief et les rouleaux en mousse sont souvent rapidement rongés par l’époxy.
Il suffit ensuite d’appliquer le nombre de couches recommandé par le fabricant, en respectant l’intervalle entre couche préconisé, ce qui réduira sensiblement le fastidieux travail de ponçage entre couche.
Une imprégnation doit rester relativement fine, elle ne correspond pas à une application de couches épaisses qui créeront des coulures difficiles à faire disparaître ensuite et sur lesquelles peinture ou vernis auront du mal à bien s’accrocher.
D’une manière générale, il faut adopter une séquence imprégnation-peinture-verni qui limite au maximum les tâches de ponçage, très consommatrices en temps et en énergie et ne sont jamais plaisantes.
Le collage du bois à l’époxy
Pour obtenir un assemblage bois / bois solide, il est préférable d’imprégner d’abord les parties à assembler et, après avoir attendu un quart d’heure environ, d’appliquer à la spatule ou à la brosse une résine de collage chargée (charge de type micro-fibre de bois).
Il n’est pas nécessaire de serrer fortement les pièces l’une contre l’autre, car alors la colle risque de « baver » sur les côtés, mais la pression doit tout de même être suffisante pour que toutes les irrégularités du bois se remplissent de colle.
Pour garantir une pression régulière et homogène, il peut être utile de recourir temporairement à des serre-joints, vis, pointes, etc…
Grâce à son fort pouvoir adhésif et à sa cohésion, une colle à base de résine époxy est plus résistante en traction et en cisaillement que le bois, même dans le sens de ses fibres.
L’aboutage de panneaux de bois
Lors de l’aboutage de deux panneaux de bois, la résistance du collage croît de façon proportionnelle avec la taille de la zone de recouvrement jusqu’à une longueur optimale, puis redécroit ensuite.
La longueur optimale de recouvrement doit correspondre à :
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pour des bois de faible densité : 8 à 10 fois l’épaisseur des panneaux
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pour des bois de haute densité : 12 à 15 fois l’épaisseur des panneaux
Il existe différents types d’aboutage pour le contreplaqué, classiquement utilisé sur les voiliers en bois, car les bordées sont généralement plus longues que les plus grandes plaques de contreplaqué commercialisées (au maximum 5 mètres) :
Bout à bout | Petite surface de collage, résistance minime, ne convient pas pour la transmission d’efforts.
Pour le raccordement de bouchains par exemple, ce type de collage peut être réalisé mais avec une reprise de stratification sur les 2 faces (dans le cas de l’auto-construction de Saba, stratification avec 2 bandes de 200 mm en Bx600 gr/m²) pour assurer la continuité mécanique et se retrouver dans la situation du collage « 2 faces ». |
Simple | Résistance moyenne. A réserver à des bois de faible épaisseur sous contrainte normale. Peu esthétique. |
Scarf ou assemblage à sifflet | Un bon niveau de résistance peut être atteint, même sous contrainte dynamique.Il s’agit de l’assemblage typique utilisé pour des panneaux de contreplaqué.
Le deuxième schéma correspond à des scarfs mécaniques, usinés en 3D. Des pions de positionnement peuvent être intégrés dans l’usinage pour faciliter le bon positionnement des 2 parties. |
Collage 2 faces | Excellente résistance |
La technique du lamellé collé
Les méthodes de construction moderne permettent de concevoir de nombreux éléments de forme variée en collant plusieurs lamelles de bois les unes sur les autres et en les maintenant sous pression jusqu’à la polymérisation de la résine.
C’est cette méthode du lamellé collé que nous avons utilisé pour réaliser nos barres franches à la forme désirée. Pour lire (ou relire) notre article à ce sujet, il vous suffit de cliquer ici !
Les avantages de cette technique sont nombreux et sa mise en œuvre facile :
- Amélioration des performances mécaniques : le joint de colle est mécaniquement plus résistant que les cellules lignifiées du bois. Coller deux pièces de bois, c’est interposer un polymère adhérant parfaitement sur le support, reconstituant entres ces deux pièces des liaisons mécaniques d’une résistance supérieure à celle d’une pièce de bois unique. Le lamellé collé peut se comparer à une soudure, au sens métallurgique du terme.
- Probabilité de rupture dues aux défauts du bois (noeuds) réduite de par leur dispersion, voire leur suppression
- Conceptions optimisées avec, par exemple, des lamelles d’un bois plus résistant en superficie et d’un bois de faible densité au centre, éventuellement complétées de renforts multidirectionnels
- Réalisation facile et précise de formes complexes
- Technique économique car les lamelles sont sciées ou tranchées dans des pièces de bois souvent de petite taille petites ou dans des chutes
- Réalisation possible de grandes longueurs à partir de lamelles relativement courtes
- Réalisation de pièces courbes à petits rayons grâce à des lamelles de faible épaisseur
- Durabilité des pièces lamellées collées, de part leur résistance à l’humidité et aux bactéries, améliorée par le joint de colle, et un vieillissement sans altération de leurs performances techniques
- Qualités esthétiques liées au mariage possible des essences et des couleurs
D’un point de vue pratique, un lamellé collé se construit sur un gabarit réalisé à la forme désirée. Il est judicieux de faire un essai à blanc, avant encollage, pour bien vérifier que les lamelles préparées au préalable peuvent être cintrées à la courbure désirée et que les serre joints, cales, polyane de protection, … ont été préparés en quantité suffisante.
Une fois la résine chargée étalée sur les 2 faces en contact et la pression de serrage appliquée, un peu de colle doit déborder au niveau de chaque joint. Dans le doute, mieux vaut étaler un peu trop de colle que pas assez.
L’assemblage par joint congé
Les joints congés permettent de renforcer les liaisons entre deux éléments lorsque la surface de collage est insuffisante pour assurer une bonne résistance de l’assemblage.
C’est la méthode d’assemblage la plus répandue dans la construction navale moderne.
Un joint-congé est constitué d’une colle époxy chargée (charge structurelle «haute densité» ou «basse densité») appliquée dans l’angle formé par deux panneaux à assembler. Cette méthode est idéale lorsque les pièces à assembler se rencontrent selon des angles différents: cloison sur bordée, liaison intérieure coque-pont, sièges, coffres …
Pour être résistant, le joint congé doit être réalisé des 2 côtes de l’assemblage à réaliser.
Les caractéristiques d’un joint congé (rayon, nature de la charge, stratification ou non) doivent toujours être définies de manière à conduire à une rupture (éventuelle) hors du plan de collage.
Le choix du couple résine – durcisseur est fait en fonction du rayon du joint congé : plus le rayon est important, plus le durcisseur doit être lent.
Le tableau ci-dessous indique le rayon du joint congé préconisé, en fonction de l’épaisseur du contreplaqué utilisé :
Si l’on recherche des performances structurelles optimales, le joint-congé doit être renforcé par une stratification réalisée en suivant avec du tissu biaxial découpé en bandes plus larges que la surface du joint.
On peut commencer à stratifier dès que le joint congé commence à durcir. Cette solution permet de positionner le tissu en position verticale ou surplombante grâce au pouvoir collant de la résine en cours de polymérisation. Si cette opération est différée dans le temps, le joint congé sera préalablement poncé et dépoussiéré avant réalisation de la stratification.
A chaque fois que nous avons testé la résistance d’un assemblage (scarf ou joint congé), le collage tenait et c’est le bois qui rompait un peu plus loin. Même dans le cas de collages bout à bout réalisés à l’extrémité de pièces de bois, l’époxy résistait parfaitement.
Le mariage du bois et de l’époxy permet la réalisation d’assemblages plus simples que ceux des techniques traditionnelles tout en donnant un produit composite aux très bonnes propriétés mécaniques et à la durabilité intéressante.
Les applications sont multiples dans un voilier, en commençant par l’aménagement de coffres et de rangements. L’utilisation de contreplaqué imprégné, puis assemblé par joint congé, vous rendra de multiples services sans pour autant être compliqué à réaliser.
Alors comme le dit l’adage « on apprend en marchant », n’hésitez pas à vous lancer sur des petites pièce pour commencer, vous verrez que ces différentes techniques d’assemblage de pièces en bois à la résine époxy sont simples à réaliser et offrent de nombreuses possibilités.
Rapidement, vous n’aurez plus qu’une seule envie, laisser libre cours à votre imagination !!!
Nous vous souhaitons bon vent et bonne mer.