Même si la mer n’est pas la zone la plus exposée à ces phénomènes météorologiques violents, tout navigateur finit, un jour ou l’autre, par croiser la route des orages, à proximité du littoral comme au large.
Sur les côtes européennes, certaines zones sont particulièrement réputées pour leurs gros orages, comme le Golfe de Gascogne, la Mer Tyrrhénienne et la Corse, par exemple. Sur nos côtes françaises, on se méfiera donc tout particulièrement du Pays Basque, de la Côte d’Azur et de l’île de beauté.
Les orages sont des phénomènes météorologiques violents, potentiellement dangereux. Au delà de la foudre, qui peut mettre en péril l’électronique du bord, il ne faut pas sous estimer également les rafales de vent. Car si certains orages déversent en passant une pluie torrentielle et des éclairs dantesques sans le moindre souffle d’air, la plupart sont précédés d’un « front de rafales », généré par la masse d’air qu’ils poussent devant eux. En quelques minutes seulement, le vent peut ainsi forcir brusquement et atteindre 40, 50 voire 60 nœuds, levant une mer courte et hachée, ou encore tourner à 180 degrés, et malmener au passage voiles et gréement.
Mieux vaut donc essayer d’éviter autant que possible les orages mais également se préparer à une telle rencontre, afin de gérer au mieux le risque en fonction de l’aptitude du bateau et de l’équipage à contrôler la situation.
Et quelques outils forts utiles existent dorénavant pour nous y aider !
Mais n’oublions jamais que si les modèles météorologiques progressent encore et améliorent leur fiabilité, il reste toujours difficile de «localiser» un orage à cinq milles nautiques près et qu’il convient donc toujours d’intégrer une marge d’incertitudes aux prévisions et de ne pas les prendre pour argent comptant.
Les outils de suivi des orages accessibles via internet
Avant de partir ou même déjà en mer, si vous possédez une connexion internet de qualité (un réseau 4G par exemple ou le wifi au port), deux principaux types d’outils sont disponibles pour mieux appréhender le risque de grains et d’orages sur votre route de navigation.
Les applis smartphone
Avec une connexion internet, vous pouvez consulter depuis votre bord en temps réel des images radar des précipitations et des impacts de foudre.
S’il existe plusieurs sites web intéressants, dont celui de l’observatoire français des tornades et orages violents (www.keraunos.org), qui regroupe de nombreuses informations sur ces phénomènes ainsi qu’un bulletin de prévision des orages pour la France (uniquement), nous leur préférons désormais les applis smartphone, qui reprennent les mêmes sources de données et sont d’une utilisation particulièrement aisée.
WINDY
L’application Windy, aujourd’hui incontournable pour les prévisions de vent et d’une ergonomie remarquable, propose également à présent des fonctions très intéressantes pour le suivi des orages :
la couche «Radar & satellite – Radar météo », qui indique les précipitations et leur intensité ainsi que les impacts de foudre (à partir de 2 sources de données distinctes, donc des couvertures géographiques potentiellement différentes, mais présentées dans la même couche Windy). Attention, il ne s’agit pas là de prévisions mais bien de données réelles enregistrées, ce qui permet d’apprécier la vigueur de l’orage en cours. Une animation sur les dernières heures est disponible, ce qui permet de visualiser la vitesse et la direction du déplacement des grains par exemple.
- une couche « Orage » est également disponible, offrant une prévision des zones à activité orageuse directement utilisable, ne nécessitant aucune interprétation ni connaissance particulière, contrairement aux fichiers GRIB. L’unité utilisée est le nombre d’éclairs, par kilomètre carré et par jour.
- une couche « Nuages », avec des images satellites en temps réel ainsi que des prévisions mentionnant l’altitude des nuages, ce qui permet de compléter l’analyse des couches précédentes.
METEO & RADAR
Une autre application, « Météo & Radar », propose des cartes d’animation en temps réel, pour les heures à venir et jusqu’aux 4 prochains jours, permettant de suivre la progression de la pluie, des orages et des points d’impacts de la foudre. Ces prévisions peuvent être comparées avec celles de Windy, ce qui est intéressant pour apprécier la fiabilité des données. Des alertes « intempéries » peuvent également êtres activées, afin d’être informé des orages à venir via une notification envoyée sur smartphone.
Les GRIB
Si vous avez l’habitude d’utiliser les fichiers GRIB pour la préparation de vos croisières, pour prévoir votre météo et/ou préparer votre routage, vous vous êtes d’ores et déjà familiarisés avec l’analyse, notamment, des paramètres de vent et de vagues. Mais savez-vous que certaines données des fichiers grib vous permettent également d’analyser l’instabilité atmosphérique et donc la probabilité de survenue des orages et des grains ?
Attention, il n’y a malheureusement pas, dans les GRIB un paramètre unique qui permettrait d’apprécier le risque d’orage. Car la prévision des orages est très complexe et nécessite la compilation de divers indices qui, utilisés indépendamment les uns des autres, restent insuffisants en terme de fiabilité !
Toutefois, ces indices peuvent tout de même être d’un recours utile pour appréhender un risque d’orage lorsque vous ne disposez que des GRIB comme source de données météo et que le risque orageux devient préoccupant. Et, contrairement aux applis, même s’il est toujours possible de faire des copies d’écran de ces dernières, les fichiers grib se téléchargent avant le départ. Ils restent ainsi accessibles en croisière et permettent, via un logiciel de navigation, de se positionner précisément au sein d’une situation météo.
Les paramètres disponibles intéressants à analyser sont les suivants :
l’indice CAPE (Convective Available Potential Energy), mesuré en joules par kg (J/kg) : la CAPE indique la quantité d’énergie disponible pour la convection, c’est à dire le mouvement ascendant de l’air qui est un processus majeur dans la création d’un temps orageux et des cumulonimbus. En termes plus imagés, cet indice ne représente que la poudre dans le baril d’explosif, il ne renseigne pas sur l’étincelle qui mettra le feu aux poudres. Cependant, un indice CAPE élevé dans votre zone de navigation vous renseigne sur la puissance des orages potentiels qui s’y déclencheront.La grille de lecture de cet indice est la suivante :
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- < 300 J/kg masse d’air stable – Pas ou peu de risques d’orages
- 300 à 1 000 J/kg masse d’air marginalement instable donnant des averses ou des orages ordinaires
- 1000 à 2 500 J/kg : masse d’air modérément instable donnant des orages qui peuvent être violents
- 2500 à 3 500 J/kg : masse d’air très instable provoquant des orages violents
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L’indice CIN (Convective Inhibition), également exprimé en J/kg, correspond à l’énergie nécessaire pour qu’une parcelle d’air atteigne le niveau de convection libre et renseigne donc sur la stabilité des basses couches de la masse d’air, qui s’oppose aux mouvements de convection à l’origine des orages. La grille de lecture de cet indice est la suivante :
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- CIN <50 J/kg : stabilité atmosphérique faible qui peut facilement être brisée lorsque le soleil chauffe le sol et les masses d’air inférieures, proches de la surface, générant une convection verticale de l’air chaud
- CIN > 200 J/kg : forte stabilité atmosphérique qui bloque les mouvements convectifs et limite les développement orageux
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Ainsi, en règle générale, une CIN forte compense une CAPE moyenne, mais méfiance toutefois car il peut exister des cellules de type explosif, provoquées par une CIN et une CAPE toutes deux très élevées. Dans un tel cas, le phénomène de convection est tout d’abord stoppée par la stabilité de la masse d’air qui agit comme un couvercle mais si les conditions météorologiques provoquent une force ascensionnelle suffisamment puissante, cette couche stable peut être percée d’un coup et une cellule convective se forme alors rapidement en développant une énergie considérable …
L’indice de Réflectivité, exprimé en décibel (dBZ) : il correspond à une mesure de la quantité d’eau / de grêle dans l’atmosphère. Il peut également renseigner sur la vitesse verticale des particules et constituer ainsi un bon indicateur des potentialités de convection de la masse d’air et donc de l’évolution prévisionnelle des orages. Une grande zone présentant une réflectivité élevée ou des lignes de valeurs élevées indiquent des complexes de grains ou des lignes de grains.
La grille de lecture de cet indice est la suivante :-
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- < 40 dBZ : simple indication du volume des précipitations à venir
- Compris entre 40 et 50 dBZ : risque d’orages probable
- > 50 dBZ : situation orageuse confirmée
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Les différentes sources de données GRIB ne fournissent pas toutes l’ensemble de ces indices. En fonction de vos besoins et de vos zones de navigation, il est donc important de vérifier les paramètres disponibles par telle ou telle source et d’utiliser celle qui vous convient le mieux.
Le RADAR, un outil déconnecté mais toujours précieux pour suivre les orages
Si malgré vos précautions et une rigoureuse préparation météo de votre navigation, vous vous retrouvez en mer à proximité d’une zone orageuse sans possibilité de connexion internet, il vous reste encore un outil de suivi et d’évitement des orages intéressant, le radar !
En pleine mer, la vision d’éclairs incessants traduit sans doute possible une forte activité orageuse mais l’intensité lumineuse générée par la foudre peut porter très loin. Ainsi, l’orage que vous apercevez au loin ne vous touchera pas forcément, surtout si vous surveillez bien sa progression. Nous avons encore en mémoire, presque 20 ans plus tard, un impressionnant front orageux observé en pleine nuit lors d’une traversée entre le Cap d’Agde et les Baléares. Le radar nous ayant permis de le localiser quelques miles devant nous, et afin de ne pas le rattraper, nous avons choisi de le laisser s’éloigner durant quelques heures en nous mettant à la cape et nous ne nous sommes ainsi pas retrouvés au cœur de l’orage … pour notre plus grand soulagement …
Mais avant de s’intéresser aux possibilités offertes par le radar concernant le suivi des grains et des orages, il convient de rappeler que si la présence de cumulonimbus et d’une zone où crépitent les éclairs indiquent en général le cœur du foyer orageux, parfois, la situation n’est pas toujours aussi claire et peut rendre difficile le suivi de la progression du phénomène.
Au préalable, il est donc crucial d’estimer la distance de l’orage en comptant (ou mieux, en mesurant) le temps qui sépare la vision de l’éclair du coup de tonnerre. Sachant que le son se déplace à 340 m/s et que la lumière est presque 1 million de fois plus rapide, c’est à dire instantanée à l’échelle de l’oeil humain, une seconde de décalage entre l’éclair et le tonnerre équivaut à 340 mètres. On peut ainsi retenir par facilité que 5 secondes de décalage = 1 mille nautique, ce qui donne une première indication sur la position de l’orage. Répéter cet exercice à chaque éclair pendant quelques minutes d’affilée permet d’estimer rapidement si l’orage se rapproche ou s’éloigne, et donc d’établir une stratégie pour se protéger contre la foudre.
Le radar est souvent le dernier outil disponible sur nos voiliers pour suivre en temps réel, l’avancée d’un front orageux situé à proximité du bateau. Mais si les radars actuels sont capable « d’acquérir » une cible et d’en déduire vitesse et cap, par exemple dans le cas d’un voilier sans AIS, ces données ne font généralement pas sens dans le cas d’un grain ou d’un orage car ces derniers restent instables et mouvants en forme et en étendue, et le radar n’est pas capable de calculer avec fiabilité leur vitesse et leur cap.
Le radar permet donc principalement de localiser l’orage, d’en mesurer son étendue et d’observer son déplacement sur un pas de temps donné … pour en déduire la conduite à tenir : ralentir, modifier son cap, mettre son voilier en panne quelques heures …
Ces différents outils, numériques et / ou matériels, constituent des aides précieuses pour sécuriser nos croisières, tant au mouillage qu’en navigation :
- au mouillage, la bonne appréciation d’un risque orageux venant sur nous permet d’adopter les mesures préventives adéquates (vérifier et/ou renforcer son ancrage, allumer son moteur en soutien, changer de mouillage, planifier son départ, préparer le bateau à partir à tout moment, débrancher l’électronique de bord) … bref, d’avoir un temps d’avance et de se tenir prêt à toute éventualité afin de ne pas subir les événements,
- en navigation, la connaissance de la position de l’orage par rapport à nous et l’observation attentive de son développement et de son déplacement nous conseille sur la conduite à tenir, comme modifier notre cap et/ou notre vitesse pour chercher avant tout à l’éviter.
Nous vous souhaitons bon vent, et bonne mer
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