Survie ! Ce simple petit mot a, à lui seul, la capacité de nous faire frémir même si à bord d’un voilier de croisière, nous sommes souvent contraint de vivre avec lui au quotidien.
En effet, dès que nous souhaitons nous éloigner un peu au large, la loi nous impose d’être équipé d’un matériel de sécurité destiné, en théorie, à garantir notre propre survie. Mais les pièces maîtresses de la réglementation ne sont finalement qu’une balise de détresse et un radeau auto-gonflant qui permet d’attendre sagement les secours en cas d’abandon du navire, sous réserve toutefois d’avoir pu signaler notre position et de ne pas nous trouver trop éloignés de la côte.
Avant de partir en croisière, notamment hauturière, un certain nombre d’entre nous opte pour un stage sécurité / survie et apprendre ainsi notamment à utiliser ces équipements car l’abandon du voilier, puis l’organisation de la survie de l’équipage, sont des éventualités qu’aucun chef de bord ne peut ignorer.
Mais cela peut-il être suffisant quand on sait qu’un radeau auto-gonflable n’est absolument pas conçu pour naviguer ? Et même si nous baignons aujourd’hui dans un monde de technologies et de communication, peut-on pour autant avoir une confiance aveugle dans une balise de détresse ou un téléphone iridium ?
Personnellement, il nous semble que non et que cette question de la survie en mer doit également faire partie des préparatifs incontournables de tout projet de croisière hauturière, même s’il n’est pas toujours aisé de se projeter sur une telle éventualité.
Il y a quelques années, certains ont réfléchi à la notion de survie dynamique destinée à nous permettre de rallier une côte ou le bord d’un navire en toute autonomie. Mais cette idée n’a jamais vraiment convaincue, peu de matériels de survie ont été conçus dans cette perspective et la réglementation n’a pas fondamentalement fait évoluer le matériel de sécurité imposé.
A la veille de notre départ en grande croisière, nous avons tout de même jugé intéressant d’approfondir ce sujet mais plutôt que de tout miser sur un projet de survie dynamique au sens strict avec les difficultés d’organisation que cela peut poser, il nous a semblé préférable de nous inscrire plus globalement dans une dynamique de survie.
Derrière cette notion de « dynamique », nous nous fixons ainsi les 4 objectifs suivants :
- réfléchir sérieusement aux critères de réussite de notre survie avant le départ
- choisir et préparer l’équipement qui nous convient et nous correspond pour essayer de nous débrouiller seul le plus longtemps possible
- réussir à orienter au besoin notre route pour aller à la rencontre de secours potentiels et pouvoir nous signaler
- gérer nos ressources, personnelles et collectives, pour réussir
Car si d’aventure, nous nous retrouvons un jour à dériver au milieu de l’océan, à grande distance des côtes, balloté au gré du vent et des courants, sans certitude que les secours arriveront rapidement, il sera un peu tard pour regretter de ne pas avoir préparé aussi notre stratégie de survie !
Alors voyons ensemble les quelques points à réfléchir sérieusement avant de partir pour mettre toutes les chances de notre côté car l’abandon de son voilier sera toujours une expérience traumatisante mais qui se passera « le moins mal possible » si tout a bien été pensé et préparé avant le départ.
Avant la survie, place à la préparation !
Cela peut vous sembler de prime abord un point accessoire mais il s’agit bien d’un rappel essentiel à ne jamais perdre de vue.
Un grand nombre de situations peuvent être évitées, ou au moins minimisées, lorsque l’on connait bien son voilier avant de prendre le large. Ne partez donc jamais de façon précipitée, prenez toujours le temps de procéder à un check-up complet de votre équipement de sécurité, vérifier le bon fonctionnement de vos appareils électroniques, procédez à l’entretien de votre moteur, fermez vos différentes vannes …
Et offrez-vous pour commencer quelques petites navigations de courte durée pour bien vous amariner, permettre à votre équipage de prendre ses repères, répéter quelques manœuvres courantes et expérimenter votre procédure de sécurité.
Par ailleurs, l’embarquement dans un radeau de survie doit rester la solution ultime à laquelle il ne faut recourir qu’après avoir épuisé toutes les possibilités de maintien à flot du voilier. Il convient donc d’avoir à son bord divers équipements de sécurité (couverture anti-feu, extincteur, pâte de colmatage, ruban adhésif pour milieu humide, …) pour palier un début d’incendie ou réaliser une réparation de fortune et pouvoir continuer à faire route vers la terre la plus proche.
Si toutefois la malchance s’invite à bord et que l’on se retrouve alors sans autre solution que de quitter son voilier (suite à un abordage, un incendie, une voie d’eau, une tempête), le premier objectif à se fixer sera alors de tenir le temps d’être récupéré et, pour cela, le moment sera venu de mettre en place une réelle dynamique de survie …
DEFINIR sa dynamique de survie avant tout départ en mer
Organiser sa propre survie signifie se préparer à survivre, quelques jours à plusieurs semaines, dans des conditions précaires. Et cela nécessite d’y avoir sérieusement réfléchi avant de lever l’ancre. Car dans l’urgence et la panique, ce sont souvent de tous petits détails qui peuvent faire basculer la situation de l’un ou l’autre côté !
Il convient donc de réfléchir au préalable aux points suivants :
Etablir la liste de ses sacs ou bidons de survie (en fonction de la durée de la traversée envisagée), détailler leur contenu respectif, choisir leur lieu de stockage pour qu’ils restent en permanence facilement accessibles, réfléchir à la façon de les accrocher rapidement au radeau de survie (grâce à une longe avec mousqueton rapide par exemple)
- Prévoir des ressources d’eau potable (la quantité sera fonction de la composition de l’équipage et de la durée de survie envisagée), puis comme pour les bidons de survie, définir leur localisation à bord ainsi que leur système d’accroche à l’embarcation de secours
- Définir les tâches de chacun avant de partir en traversée (préparation des stocks d’eau, vérification de la charge des batteries de secours, …) ainsi qu’en cas d’abandon forcé du voilier. Ecrire noir sur blanc ces dernières dans sa procédure personnelle de survie et l’afficher afin que tout l’équipage sache précisément ce qu’elle contient et le rôle qu’il pourra, le cas échéant, avoir à jouer.
Rassembler sur un même document mémo les données d’identification du voilier, les canaux VHF à utiliser et les messages MAYDAY et PAN PAN en français et en anglais, les coordonnées du CROSS Gris Nez qui coordonne les opérations de sauvetage des marins français en difficulté en dehors des cotes françaises (et auquel il est possible de transmettre une déclaration de traversée), ceux du CCMM ainsi que les numéros de téléphone et de contrat des assurances voilier et santé
- Faire plastifier a minima sa procédure de sécurité, la liste de ses grab bag et notamment de celui à constituer au dernier moment avec les objets d’usage quotidien pour ne pas avoir à réfléchir ni prendre le risque d’oublier un équipement important dans l’affolement de l’évacuation, son document mémo avec tous les contacts d’urgence ainsi que tout autre document que l’on juge utile d’embarquer avec soi dans son canot de survie
PREPARER ses équipements de survie
Une fois sa stratégie de survie définie, et avant tout départ en croisière, pour quelque durée que ce soit, il est important de préparer ses équipements et notamment :
- Procéder si nécessaire à quelques achats pour compléter sa dotation de sécurité (briquet tempête, lampe torche à led de forte puissance, jerrycan d’eau supplémentaire, batteries de secours pour l’ensemble de l’équipement électronique, …)
Installer sa survie réglementaire de façon à pouvoir la saisir rapidement et la mettre à l’eau facilement en peu de temps (si elle est stockée au fond d’un grand coffre de rangement ou ficelée avec de trop nombreux nœuds, vous risquez de perdre des instants précieux le moment venu …)
- Prévoir une grande boucle sur la ligne de la survie, à proximité de son point d’attache au bateau, pour pouvoir y accrocher par un mousqueton rapide les lignes de tout ce qu’il faut jeter à l’eau (bidons de survie, jerrycans d’eau, annexe)
- Remplir et ranger ses bidons de survie selon le besoin que l’on aura d’utiliser leur contenu au cours de la croisière, à l’intérieur ou à l’extérieur du voilier,
- Faire ses pleins d’eau ainsi qu’un avitaillement comprenant des denrées sucrées à forte valeur énergétique (barres de céréales, berlingots de lait concentré, chocolats, fruits secs, …)
Vérifier systématiquement le bon fonctionnement de tous les équipements avant toute traversée de plus de 24 h et contrôler la bonne charge des batteries de secours
- Avant de prendre la mer, faire le tour du voilier avec son équipage afin de lui rappeler la localisation de tous les équipements de sécurité (gilets gonflables, grab bag, EPIRB, téléphone satellite, lampes torche, pharmacie, listes récapitulatives, …) et pouvoir compter sur sa réactivité
- Noter les coordonnées GPS des quelques points stratégiques localisés à proximité de la route suivie pour pouvoir s’orienter en cas de difficulté rencontrée en cours de route.
ORGANISER sa survie dynamique
Il peut être intéressant de s’organiser pour, même en situation de survie, pouvoir être un minimum manœuvrant et ainsi, être en capacité de se rapprocher d’éventuels secours (vers les routes fréquentées par les cargos, vers un autre navire préalablement identifié à proximité, …) ou de ne pas passer à côté d’une petite île sur laquelle accoster juste parce que les courants en auront décidé autrement !
Car une balise de détresse et/ou un téléphone iridium ne font pas tout lors d’une trans-océanique. Ces matériels peuvent en effet être oubliés ou égarés dans la précipitation de l’évacuation, voire ne pas fonctionner si leurs piles sont déchargées. Et même si vous avez votre téléphone satellite avec vous, dans certaines zones, les secours mettront peut-être longtemps à arriver, il faut en être conscient !!
Nous l’avons vu, le radeau de survie réglementaire possède une ou des ancres flottantes situées sous lui, qui présentent l’intérêt d’augmenter sa stabilité et de réduire sa dérive pour faciliter les opérations de recherche. Mais a contrario, ces dernières rendent tout mouvement dynamique, par exemple à l’aide de rames, pratiquement impossible.
Or avancer, même à seulement deux ou trois nœuds, c’est se sentir acteur de sa destinée et trouver l’énergie nécessaire pour garder le moral car un mental fort est essentiel à toute survie. Prévoir cette possibilité peut donc aussi être un facteur de réussite important.
Pour cela, il convient de s’organiser pour pouvoir, dans la mesure du possible mettre, en plus de sa survie, également son annexe à l’eau (sous réserve bien entendu que cette dernière soit en bon état) car elle peut constituer un élément dynamique en traction et en orientation pendant que la survie, plus statique servira pour se reposer et se mettre à l’abri (du soleil, de la pluie).
Cela signifie qu’il peut être très pertinent de laisser son annexe toujours prête à l’emploi en navigation, surtout si elle est gonflable, sur le pont, accrochée à un portique ou stockée dans la jupe. Tout dépend bien entendu de son encombrement et de la place disponible sur chaque voilier mais pour pouvoir envisager une survie dynamique, mieux vaut ne pas stocker son annexe dans un fond de coffre lors d’une grande traversée.
Une annexe peut se manœuvrer à la rame ou à la voile.
Dans le premier cas, il apparaît intéressant de penser un système de fixation des pagaies qui permettra de laisser ces dernières à poste dans votre annexe en permanence.
Dans le second cas, une annexe rigide sera probablement plus aisée à gréer qu’une annexe gonflable mais cela ne signifie pas pour autant que c’est là mission impossible avec un pneumatique, il faut juste avoir pris le temps d’y réfléchir au préalable.
Une annexe peut être gréée avec une voile hissée le long d’un mâtereau mais elle peut aussi être tractée. Il existe sur le marché depuis de nombreuses années des cerfs volants de survie mais ces derniers ne semblent pas vraiment, pour le moment avoir fait leurs preuves. Ils sont a priori difficile à faire décoller, de trop faible portée pour tracter une annexe et / ou une survie bien chargée et leur petite taille ne permet pas également d’être visible au loin.
Certaines entreprises se sont donc positionnées sur ce créneau et développent depuis peu des kites de survie dont l’avenir semble assez prometteur, au regard de leur facilité d’utilisation et de leurs performances.
Le principe de la survie dynamique consiste à être en capacité de se déplacer mais également à pouvoir se rendre visible. Il est donc essentiel de prévoir dans son matériel de survie a minima des bâtons lumineux, des lampes stroboscopiques, une torche puissante, si possible à led et sans fil, voir un réflecteur radar s’il est possible de le hisser le plus haut possible au dessus de l’annexe ou de la survie.
GERER ses ressources personnelles et collectives
Il importe de ne pas oublier que la survie est avant tout une question de constitution physique, de mental et d’état d’esprit … bien plus de que matériel !
Alors même si les points abordés précédemment dont indispensables pour s’inscrire dans une dynamique de survie, il ne faut pas uniquement s’en satisfaire.
Il importe ainsi très rapidement de définir des routines pour rythmer la journée et rendre chacun acteur de la situation pour une bonne coordination générale et un état d’esprit positif :
Les tours de veille, pour scruter l’horizon et déceler l’éventuelle présence de tout navire à proximité, voire de navigation en cas de possibilité de faire route, doivent alterner pour chacun avec des temps de repos essentiels pour garder l’esprit alerte.
Des moments collectifs partagés pour entretenir la forme physique de chacun aident également à garder une bonne synergie au sein de l’équipage et donc le moral. Se masser pour détendre les muscles et les membres ankylosés, voire faire quelques mouvements comme des abdominaux, peuvent devenir des moments agréables. Pour ne pas suer, ces derniers sont à privilégier lorsque la nuit tombe et que la fraîcheur s’installe, sans oublier que ces quelques exercices peuvent aussi améliorer l’endormissement.
Comme il est essentiel de gérer au mieux les ressources en eau douce, il est vivement conseillé de ne négliger aucune occasion de récupérer l’eau de pluie et l’eau de condensation sur le toit de la survie le matin (avec une éponge dédiée à cela). Là aussi, une organisation peut être définie avec des tâches quotidiennes, fixes ou en roulement, attribuées à chacun.
Faire le point à intervalle régulier est également un temps fort d’une journée en situation de survie. Le GPS portable doit être utiliser avec précaution et parcimonie mais il permet de se situer par rapport aux éventuels points d’atterrissage situés à proximité.
En cas de panne, l’observation de l’environnement est essentielle pour aider à suivre son cap : la direction du vent, le sens de la houle, la course du soleil ou d’une étoile, la température de l’eau, peuvent donner des indications précieuses.
Chaque jour, il peut être intéressant de vérifier les stocks d’eau afin de ne pas passer à côté d’un contenant percé ou mal rebouché, faire un check-up santé de l’ensemble de l’équipage pour gérer sans délai une petite plaie ou un mal de mer, tenir ses stocks à jour pour organiser au mieux les repas … sans oublier qu’essayer de pêcher peut être également une occupation utile et positive en situation de survie.
Etre à l’écoute de son équipage, en prendre soin dans la mesure du possible et impliquer chacun dans les tâches quotidiennes à réaliser permet sans conteste de mobiliser l’esprit de tous dans un même objectif pour mettre fin au plus vite et dans les meilleures conditions à cette situation de survie.
Et dès que nous serons repérés ou qu’il aura été possible d’accoster quelque part, nous pourrons nous considérer comme sauvés !
Nous vous souhaitons bon vent et bonne mer.
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