Avez-vous déjà entendu parler de la Grande Nacre, ou même eu la chance de l’observer lors de l’une de vos escapades subaquatiques ? Ce coquillage incroyable de part sa taille notamment, qui ne se retrouve, à l’échelle du monde, qu’en Méditerranée, est aujourd’hui victime d’une épidémie sans précédent.
Comme vous le savez, nous sommes des inconditionnels de la Méditerranée, sur laquelle nous avons fait nos premières armes de plaisanciers, malgré son caractère capricieux et ses colères aussi soudaines que démesurées ! Nous nous émerveillons chaque jour de sa beauté et des richesses qu’elle abrite et nous avons à coeur de la respecter et de la protéger autant que possible. Il nous a donc semblé important de partager ici les informations dont nous disposons sur le drame qui est en train de se jouer et qui met en péril la survie de la Grande Nacre.
Cet article inaugure par ailleurs notre nouvelle rubrique « Planète Attitude » qui nous permettra de regrouper nos découvertes, nos points de vue et pourquoi pas aussi nos coups de gueule sur l’écologie en général et la mer en particulier.
La Grande Nacre, joyaux de la Méditerranée
La Grande Nacre (de son petit nom Pinna nobilis) est une espèce emblématique de la Méditerranée où elle est présente depuis 5 millions d’années, la plupart du temps bien à l’abri dans l’herbier de posidonie qui la protège de la houle et des vagues fortes, capables de l’arracher du sable, de la renverser, ou même de casser sa coquille !
Elle est le second plus grand coquillage existant dans le monde, après le bénitier géant, car elle peut en effet dépasser 1 m de longueur. Sa longévité remarquable (la grande nacre peut vivre jusqu’à 40 ans) participe également à son statut de patrimoine naturel exceptionnel.
La Grande Nacre était autrefois très présente le long de nos côtes et elle fut notamment utilisée dans l’antiquité :
- pour la confection d’étoffes très souples et très solides à partir du byssus (la légende raconte ainsi que la Toison d’Or de la mythologie grecque aurait été confectionnée à partir de byssus de nacre),
- à des fins décoratives, sa coque pouvant être sculptée ou peinte, et la nacre extraite pour créer des boutons (en Sicile, à Malte),
- cuisinée dans différentes régions méditerranéennes (Grèce, Corse, Malte et Croatie).
Malheureusement, elle a, depuis cette période faste, été décimée par l’aménagement du littoral et la pollution (rejet des eaux usées notamment), fragilisée par le recul des herbiers de posidonie, détruites par l’ancrage des bateaux et le chalutage, qui brisent les coques ou arrachent les nacres des herbiers, mais aussi prélevée abusivement par des plongeurs pour satisfaire l’avidité de certains touristes en quête de souvenirs originaux !
Devenue très rare et menacée de disparition, elle a été inscrite sur la liste des espèces en danger et ainsi protégée au niveau européen en 1992. Cette mesure de protection a progressivement porté ses fruits et la Grande Nacre avait commencé à prospérer et à recoloniser le littoral français.
La Grande Nacre, une espèce condamnée ?
Mais … car oui, il y a un mais, comme dans toutes les bons récits !
Un fâcheux parasite s’est invité dans cette belle histoire et s’escrime depuis deux ans déjà à en modifier l’issue heureuse.
Repéré tout d’abord au large des côtes espagnoles et dans les îles Baléares fin 2016, ce protozoaire du genre Haplosporidium s’est ensuite propagé à d’autres zones côtières, en France (en Corse et dans le golfe du Lion au début de l’année 2018) et dans d’autres pays méditerranéens (Italie, Sicile, Sardaigne).
Ce parasite se loge dans les glandes digestives de la Grande Nacre, et affame cette dernière en l’empêchant de se nourrir, ce qui entraîne sa mort en seulement une dizaine de jours, hypothéquant ainsi aujourd’hui la survie de l’espèce.
Il n’existe, à ce jour, que très peu de connaissances sur Haplosporidium pinnae sp., tant sur sa dynamique du développement que sur son mode et sa vitesse de propagation, si ce n’est que sa prolifération s’accentue avec le réchauffement de la température de l’eau. Ces nombreuses incertitudes qui subsistent encore rendent donc aujourd’hui la mise en œuvre d’actions de lutte contre l’épidémie très difficile alors que les conséquences de cette dernière sont d’ores et déjà effrayantes : les populations de Grandes nacres contaminées voient leurs effectifs décimés à plus de 90 %, et toutes les classes d’âge sont touchées.
La Grande Nacre, une question de survie !
Compte tenu de l’étendue géographique de l’épidémie, du taux extrêmement élevé de mortalité observé et de la forte probabilité que l’infestation soit encore en phase d’expansion, il est plus que probable que les populations de ce coquillage emblématique de la Méditerranée se trouvent dans une phase critique de viabilité.
Cet événement a conduit la communauté scientifique internationale à se mobiliser et à se coordonner afin que puissent être menées au plus vite des actions expérimentales pour tenter de protéger la Grande Nacre.
En Espagne, l’espèce a été classé dès 2017 en situation « critique » et un programme de sauvetage a été mis en œuvre, ce qui a permis de sauver quelques individus dans des aquariums.
En France, sous l’égide de l’Agence des Aires Marines Protégées, une action coordonnée se met en place à l’échelle de la façade méditerranéenne et des expérimentations sont déjà en cours de développement sur quatre sites (la réserve naturelle marine Cerbère Banyuls et le Parc national des Calanques, tous deux touchés par l’épidémie / le Golfe de Saint-Tropez et Monaco, encore épargnés à ce jour), comme le transfert de certaines nacres plus en profondeur dans l’hypothèse où des eaux plus froides constitueraient une barrière naturelle contre le parasite ou encore le captage de larves pour une réimplantation ultérieure dans des secteurs non contaminés.
Toutes les aires marines protégées de Méditerranée, en tant que « hotspots » de haute densité de Grande Nacre, constituent les principaux points d’observation du dispositif de surveillance mis en place, grâce au réseau d’observateurs et de gestionnaires mobilisés sur ce dramatique phénomène.
Afin d’aider au mieux ces sites prioritaires dans la mise en œuvre de mesures de contrôle de l’infection, l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) a défini une série de recommandations pour augmenter la fréquence des suivis en particulier en été et préparer des programmes de sauvetage, notamment au sein des lagunes littorales, nettement moins concernées, du moins pour le moment, par ce phénomène de mortalité massive.
La Grande Nacre, tous mobilisés !
Il est assez facile et confortable de se dire que, compte tenu de l’origine microbiologique de cette épidémie qui menace la survie des populations de Grande Nacre, les simples plaisanciers que nous sommes sont totalement impuissants et démunis pour agir, et donc de passer rapidement notre chemin.
Sauf que …
Sauf que, comme dans la légende améridienne du colibri, nous POUVONS (pour ne pas dire nous DEVONS) faire notre part !
La protection de la Grande Nacre est l’affaire de tous. Mais comment pouvons-nous agir pour participer à sa protection ?
Voici ce que nous pourrions appeler pompeusement le code de bonnes pratiques pour la conservation de la Grande Nacre :
Pour commencer, n’oublions pas que la Grande Nacre de Méditerranée est une espèce protégée, pas un objet d’ornement ! Restons vigilant lors du choix de nos souvenirs de croisière, notamment dans les pays dans lesquels les décorations issues de Grande Nacre sont une pratique culturelle et artistique traditionnelle
- N’hésitons pas également à dénoncer toute commercialisation de Grande Nacre, sous quelque forme que ce soit, car cette dernière est illégale
- Lors de nos virées sous-marines, nous aurons peut-être la chance d’admirer ce coquillage majestueux. Ne cédons pas aux sirènes de sa beauté et n’essayons jamais de le toucher et/ou de le déplacer (même s’il s’agit d’un individu mort), même si notre intention première est parfaitement honorable, car cela pourrait avoir pour effet de fragiliser les Grandes Nacres déjà sensibles et d’accélérer, voir de renforcer l’épidémie sur certains secteurs
- Les actions d’expérimentation qui se mettent en place le long du littoral méditerranéen obéissent toutes à des protocoles scientifiques stricts. S’il nous arrive d’en observer une, il nous est vivement demandé de ne rien toucher et de rester à distance respectable
- En plongée, soyons le plus précautionneux possible et évitons notamment tout choc de la coquille de la nacre avec notre équipement ou nos palmes
Lors de nos croisières à la voile, contribuons à protection des prairies de Posidonies qui constituent l’habitat prioritaire de la Grande Nacre en respectant les zones de mouillage autorisées, en recherchant les fonds de sable pour ancrer notre voilier, en jetant l’ancre le plus loin possible des herbiers pour éviter que notre chaîne ne racle ces derniers et enfin, en remontant notre ancre aussi verticalement que possible afin d’éviter tout dommage éventuel par impact direct.
Nous vous souhaitons bon vent et bonne mer
Vous souhaitez réagir à cet article ? N’hésitez pas à partager les informations dont vous disposez éventuellement sur cette épidémie qui décime actuellement les populations de grandes nacres dans les commentaires.
Cet article vous a plu ? Aidez nous à faire connaître ce blog en likant et partageant avec vos amis nos publications. Par avance, nous vous disons merci !