Il nous semble important de rappeler en préambule que si le routage est un outil d’aide à la décision pour un skipper, il ne découle que d’un simple calcul numérique, basé sur des prévisions telles que la météo ou le courant rencontré ainsi que sur des données théoriques comme la polaire de vitesse du bateau.
Mais ne croyez pas pour autant que nous soyons critiques vis-à-vis de cet outil car il a complètement changé notre analyse de la météo avant de partir en croisière et nous en sommes désormais de fervents partisans.
D’autant plus que les années passant, les prévisions numériques de la météo ont fortement progressé et continuent sans cesse de s’améliorer pour notre plus grande sécurité.
Un routage est stratégique pour traverser l’atlantique ou le Pacifique mais il est également judicieux d’en réaliser un pour des navigations plus restreintes telle qu’une traversée Continent / Corse, pour rejoindre les Scilly ou même pour une croisière encore plus courte.
Toutefois, il faut garder à l’esprit que quelques soient les conditions de simulation, un logiciel de routage trouvera toujours une route à vous proposer et qu’il vous faudra donc garder un œil critique sur cette dernière pour limiter les erreurs qu’une mauvaise utilisation d’un outil de routage pourraient engendrer au risque d’en franchir les limites.
Nous vous proposons donc de balayer ensemble les 5 principales erreurs que beaucoup de navigateurs font lors de leurs premiers essais de routage météo.
Choisir un fichier GRIB dont la résolution n’est pas adaptée à la route envisagée
Les outils de visualisation des fichiers GRIBs sont très attractifs et leur affichage sous forme de cartes colorées nous fait souvent oublier la résolution du fichier GRIB utilisé et perdre notre bon sens.
Attention au lissage des données de vent
Ce qu’il faut avant tout comprendre, c’est que votre logiciel va estimer la valeur du vent entre 2 points calculés, en appliquant une variation homogène du vent.
Cette méthode de l’interpolation linéaire, ainsi réalisée entre chacune des positions du calcul, conduit à un « lissage » des prévisions de vent, ce qui est rarement le cas dans la pratique, surtout sur des routes courtes.
Disposer d’un nombre de mailles suffisant
La cartographie ci-dessous montre le flux du vent dans le Golfe du Lion avec le modèle GFS, disponible partout et de très bonne qualité, en maille 0.25° (soit 15 miles), qui constitue le modèle de base.
Les conditions semblent parfaites pour faire, par exemple, le routage d’une traversée Port Vendres / Marseille d’une distance de 100 Nm.
Mais en affichant les points calculés par le modèle, situés au niveau des barbules, on de rend vite compte que le nombre de points correspondant à la route envisagée est assez limité, et on peut donc légitimement s’interroger sur la fiabilité du calcul de routage. Est-il en effet pertinent de réaliser un routage avec uniquement 6 à 7 points calculés (routage sur une distance de 100 Nm avec une maille de 15 Nm) ?
La cartographie ci-dessous vous montre le même champ de vent mais avec un modèle beaucoup plus fin, dont la maille fait seulement 2 kms.
Bien évidemment, vous vous doutez que le routage proposé ne sera pas le même en fonction du modèle de GRIB utilisé, surtout en l’absence d’un flux généralisé, bien établi, sur le bassin.
Au-delà de toute autre considération sur la qualité et l’adaptation du fichier GRIB utilisé pour le routage souhaité, l’exemple que nous venons de vous présenter démontre qu’il convient de conserver un rapport élevé entre la distance à parcourir et le nombre de mailles existantes sur votre parcours et ne pas vous laissez séduire uniquement par une belle cartographie du vent.
Une quinzaine de mailles disponibles sur le parcours envisagé semble le minimum nécessaire pour disposer d’un routage fiable, ce qui signifie qu’un fichier GRIB en maille 0.25° ne pourra raisonnablement être utilisé que pour un routage d’au moins 225 Nm.
Ne pas aller au bout de son routage
Dans le cas d’un routage long, tel qu’à l’occasion d’une traversée océanique, on se retrouve vite confronté à la limite temporelle des prévisions (et potentiellement à leur fiabilité) et donc aussi à la durée de validité des fichiers GRIB parfois insuffisante par rapport à la durée de la traversée.
Toujours choisir une prévision à long terme
Il importe pourtant de choisir systématiquement le fichier GRIB qui va le plus loin possible dans le temps, si possible jusqu’à la destination finale afin de ne pas se retrouver sur une route aberrante à long terme pouvant conduire à une impasse.
Même si, bien évidemment, sur la durée, les prévisions seront à réactualiser, cette approche globale de votre traversée vous permettra de tenir compte de la tendance générale et d’élaborer une stratégie adaptée.
Les GRIBs à longue échéance sont indispensables pour visualiser une éventuelle dépression dès le départ. Et si cette dernière est amenée à évoluer, à se creuser et/ou se déplacer par rapport à la prévision initiale par exemple, vous serez en mesure de vous y adapter au fur et à mesure de votre avancée.
C’est le modèle GFS en maille de 1° qui propose la plus longue échéance, disponible sur 16 jours, ce qui permet déjà de couvrir une belle navigation.
Toutefois, si votre traversée s’annonce plus longue, utilisez un point de passage à 16 jours cohérent avec la route directe et / ou « normale ».
Par « normale », nous entendons cohérente avec les éléments de planification disponibles comme, par exemple, lors d’une traversée Canaries / Petites Antilles, un passage au large du Cap-Vert pour aller chercher les alizés portants, qui éloigne certes de la route directe mais pour la bonne cause !
L’exemple d’une transat retour Caraïbes / Açores
Pour schématiser, prenons l’exemple d’une traversée retour de l’Atlantique Nord. Compte tenu de la fiabilité des prévisions météo, vous décidez de limiter votre routage à vos 10 premiers jours de navigation car au-delà, cela vous semble trop incertain.
A la saison recommandée pour cette transocéanique, entre mai et juin, la probabilité de rencontrer une dépression venant du Nord et se déplaçant vers l’Est est élevée. Si cette dépression se dirige comme souvent vers les Açores en 12 à 15 jours, votre routage sur 10 jours n’aura pas pu en tenir compte.
Il y aura alors de fortes chances pour que vous soyez montés trop au Nord sur la seule base des conditions favorables de votre prévision à 10 jours et que vous vous retrouviez à proximité de cette dépression et du front associé, comme le montre la simulation de routage ci-dessous, alors qu’une route plus directe vous aurait permis de rallier les Açores dans le même temps et avec des conditions de navigation quasi-idéales.
Vous n’aurez alors pas d’autre choix que de corriger fortement votre cap vers le Sud et/ou de faire le dos rond le temps que le mauvais temps s’éloigne.
Seul un routage sur 16 jours, qui correspond aux prévisions les plus longues disponibles, vous aurait permis de prévoir l’arrivée de cette dépression et de vous positionner correctement vis-à-vis d’elle.
Imaginer traverser une zone sans vent rapidement
Il convient également d’être méfiant lorsque votre route prévisionnelle traverse une zone sans vent car dans la plupart des cas, les prévisions de vitesse d’un routage sont trop optimistes.
Dans la simulation ci-dessous, pour un vent réel de 5,1 nds, et un vent apparent de 3,7, le routage annonce une vitesse GPS de 4,5 nds. Difficilement croyable non ?
Par ailleurs, au large, un vent annoncé à 5 ou à 8 nds ne donnera pas du tout les mêmes conditions de navigation alors qu’en soi, l’erreur de prévision est minime en valeur absolue.
Par exemple, lorsque le vent est annoncé à 7N, une erreur de seulement 2N donnera en mer un vent à 5N ou à 9N. Dans le premier cas, cela va être très compliqué de faire avancer votre bateau, alors que dans le second, les conditions légères pourront être correctement exploitées.
Enfin, lorsque le vent est vraiment léger, les conditions de mer vont aussi conditionner la bonne marche de votre voilier : si le bateau est balloté par une houle, les voiles risquent de claquer … et votre allure grandement s’en ressentir.
Il convient donc d’être prudent lors du passage d’une dorsale ou d’une zone sans vent, afin de ne pas vous trouvez complètement décalé avec les prévisions de progression de votre routage, et rendre la suite de ce dernier totalement caduque.
Dans une telle situation, il peut être intéressant de voir ce que donne un routage avec un point de passage évitant le cœur de la zone sans vent. Si l’écart de route n’est pas significatif, aucune hésitation, contournez la zone. Soyez également vigilant vis-à-vis de l’état de la mer annoncé, afin d’apprécier au mieux la vitesse que pourra réellement atteindre votre voilier dans cette zone.
Vous pouvez également avoir recours à un fichier GRIB plus fin, uniquement pour cette zone, afin de la négocier au mieux.
Notre expérience de la navigation estivale en Méditerranée où le vent fait souvent défaut corrobore cette problématique : les zones de vent faible, typiquement aux alentours de 5N, sont délicates à gérer et les conditions peuvent s’éloigner rapidement du prévisionnel de routage alors qu’avec un flux juste un peu plus soutenu (8/10N), la réalité colle généralement bien avec le prévisionnel et il est assez aisé d’optimiser sa route a priori avec un logiciel de routage.
Ne pas dégrader sa polaire de vitesse
L’une des erreurs les plus fréquente est d’être trop optimiste quant aux performances de son voilier, ce qui présente le risque de rendre caduque un routage que l’on se retrouve incapable de respecter.
Car il est souvent tentant de pécher par excès d’optimisme lorsque l’on est bien installé à sa table à carte au port, pour analyser une situation météo qui prévoit certes des conditions un peu musclées … mais promet aussi une navigation rapide.
Or, lorsque le vent rentre, que le matériel commence à souffrir, que les estomacs se tendent, on fait souvent le choix de soulager un peu le voilier et son équipage, en privilégiant le confort au détriment de la performance.
Alors, autant anticiper dès le départ cette option dans notre routage.
S’il arrive que notre navigation s’avère finalement plus rapide que ce que prévoyait le routage, il sera toujours temps de refaire ce dernier avec les données météos actualisées pour affiner la route restante, voire ralentir si cela apparaît nécessaire (même si l’expérience montre qu’un skipper a toujours du mal à dégrader volontairement la vitesse de son bateau) alors que le contraire s’avère difficile, voire impossible ou dangereux …
Avant le départ, il est donc vivement recommandé de réaliser un routage en dégradant les polaires de vitesse de votre voilier afin de voir l’influence de ce paramètre sur votre avancée et comparer divers scenarii.
Ne pas repérer les zones rafaleuses
Un routage météo utilise les données du vent moyen prédit sur zone par les fichiers GRIB. Ce vent moyen correspond à un vent moyenné sur 10 minutes, qui occulte les rafales.
Il faut donc toujours compléter l’analyse d’un routage avec d’autres sources d’information.
Ainsi, les fichiers GRIBS disposant également du paramètre ‘vent rafale’, il est intéressant de le télécharger pour compléter l’analyse de votre route prévisionnelle, en superposant l’avancée de votre voilier avec les conditions météo prévues, ce qui vous permettra de vous poser les questions suivantes :
-
Est-ce que je souhaite traverser de telles conditions ?
-
Une alternative existe-t-elle ?
Par ailleurs, l’analyse approfondie du bulletin météo et en particulier de la carte de frontologie vous permettra également de localiser les fronts et de prendre en compte leur position et répercussion sur votre route.
Le passage d’un front froid par exemple, conduira immanquablement à de fortes rafales, d’autant plus violentes que la dépression sera proche …
La carte de frontologie peut généralement être facilement téléchargée et visualisée avec votre logiciel de routage et il serait donc dommage de s’en priver.
Pour conclure, le routage météo est un outil très confortable qui, grâce à l’amélioration continue des prévisions météos et aux possibilités de réception à bord, nous permet de sécuriser toutes nos croisières.
Il est désormais facilement accessible à tous les plaisanciers mais il est toutefois important de connaître les principaux risques d’erreur pour cerner ses limites et ne pas lui faire confiance aveuglément.
La bonne compréhension du scénario météorologique qui s’offre à nous, lors de l’établissement d’un routage, reste donc primordiale pour faire les bons des choix stratégiques.
Nous vous souhaitons bon vent, et bonne mer.
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