Se lancer dans la construction amateur : aventure extraordinaire ou vaste galère ?

Le début de l’histoire …

auto-constructionLorsque nous avons décidé de nous offrir, pour nos 30 ans, une année sabbatique à la voile, nous nous sommes mis en quête du voilier de nos rêves sans envisager, ne serait-ce que l’espace d’une seconde, l’idée d’une possible auto-construction.

Nous étions à l’époque tous les deux jeunes travailleurs parisiens, nos journées professionnelles étaient déjà bien remplies et nos quelques semaines de vacances, nous les consacrions à nous oxygéner loin de la ville, entre mer et montagne. Il n’y avait alors pas de place dans notre emploi du temps pour une construction in extenso ou même ne serait-ce qu’une rénovation lourde, exit donc sans sommation ni état d’âme cette idée incongrue bien farfelue !

Nous nous sommes ainsi engagés sans hésitation aucune dans la quête d’un voilier d’occasion qui correspondrait à nos principaux critères du moment : un budget raisonnable, un voilier à équiper pour la grande croisière mais déjà opérationnel pour la navigation côtière, une taille rassurante à nos yeux (aux alentours des 10 mètres) et 2 cabines pour pouvoir recevoir au besoin famille et amis.

Pendant des mois, nous avons écumé les ports de l’atlantique comme de la Méditerranée, dès qu’une occasion se présentait à nous ou lors de virées spécifiquement programmées dans cet objectif. Nous suivions de près les petites annonces et nous avons même missionné des courtiers pour trouver notre perle rare !

Nous avons ainsi visité un grand nombre d’unités, en polyester comme en alu, des quillards et des dériveurs, des sloops autant que des ketchs, jusqu’au jour où, après quelques visites non concluantes entre Marseille et Martigues en passant par Port Saint Louis du Rhône, notre courtier du moment insista pour nous montrer un dernier voilier qu’il venait tout juste de rentrer en portefeuille.

Nous nous sommes donc laissés convaincre, habités à l’époque par une impérieuse logique de rentabilité de nos déplacements, et c’est par une belle fin de journée ensoleillé que nous nous sommes laissés conduire jusqu’au pittoresque petit port de l’Estaque, niché au creux des collines calcaires et à l’inaltérable charme typiquement marseillais.

williwawEt là, le coup de foudre ! Immédiat et partagé ! Un voilier à notre taille (en extérieur comme à l’intérieur), une construction solide, des aménagements adaptés, un look élégant, …

Notre aventure avec Williwaw commençait !

Nos 3 ans de navigation en Méditerranée puis notre tour de l’Atlantique nous ont permis de conforter certains de ces critères de choix initiaux, d’en infirmer d’autres, où à tout le moins de les reléguer à une place moins stratégique de notre classement, mais également d’en identifier de nouveaux, qui ne s’étaient pas révélés à nous de prime abord.

De la nécessité d’avoir les idées claires sur ses critères !

auto-construction critères familiauxQuand nous avons décidé (enfin!) de repartir à l’aventure, la question du choix de notre nouveau bateau s’est logiquement posée immédiatement. Nous avons alors remué nos souvenirs pour retrouver nos critères de sélection initiaux et pouvoir les confronter à la réalité de notre première expérience, aux objectifs de ce nouveau voyage, à notre composition familiale ainsi qu’à nos attentes actuelles, en matière de performances et de sécurité tout autant que d’espace, d’intimité et de confort.

Nous avons ainsi esquissé à 4 mains notre voilier idéal et, au fil de nos idées, de nos confrontations, de nos discussions, nos critères se sont ordonnés les uns par rapport aux autres jusqu’à former la trame partagée, tout à la fois solide et fluide pour faciliter les derniers ajustements nécessaires, qui allait nous guider dans nos recherches.

Sur cette base, nous avons épluché les magazines de voile et fait tourné les moteurs de recherche du web pour identifier les modèles de voiliers qui correspondraient le mieux à cette grille d’exigences et quelques noms, connus ou moins connus, sont petit à petit sortis du chapeau.

Evolutions technologiques aidant, nous n’avons pas eu cette fois-ci besoin, à ce stade de notre quête, de courir le long des quais et des pontons, mais nous avons tout de même louvoyé quelques mois durant entre toutes les options possibles, prenant parfois le temps d’une escale plus ou moins prolongée pour découvrir plus en profondeur telle ou telle unité, identifier finement ses points forts mais surtout ses faiblesses, compléter ou réorganiser au besoin notre liste de critères, avant de reprendre notre quête exigeante pour trouver, enfin, chaussure à notre pied, au plutôt canot à notre projet.

auto-construction choix techniquesAu bout de quelques mois intenses de recherche, forts de toutes les informations méticuleusement recensées, classées, organisées, soupesées, comparées, analysées, et tout en laissant également une certaine place à notre intuition et à notre sagacité, nous avons été capables d’arrêter enfin notre choix, celui qui nous sembla alors constituer le meilleur compromis possible, et de prendre en (presque) toute connaissance de cause une décision lourde de conséquence, celle de nous lancer dans l’auto-construction de Saba.

Nous ne reviendrons pas ici sur les différentes étapes de cette aventure qui occupa pleinement trois années de notre vie, trois années intenses, laborieuses, stressantes parfois, souvent épuisantes, trois années qui s’achevèrent en apothéose le jour où Saba rejoignit enfin sa place à flot à Port Leucate.

Nous avons en effet rédigé récemment avec beaucoup de plaisir et d’amusement un article sur les 7 étapes de cette génèse, « Il y eu un rêve et il y eu une évidence … », que nous vous invitons à lire en complément de celui-ci.

Nous avons par contre envie de partager avec vous notre regard sur cette expérience peu commune et de vous présenter les enseignements principaux que nous en retirons.

Et vogue la galère …

La plupart du temps, quand nous annonçons à nos interlocuteurs que la construction de Saba a nécessité trois bonnes années, ils se montrent surpris et, dans la plupart des cas, trouvent cette durée plus que raisonnable au regard du résultat qu’ils ont devant les yeux.

A contrario, nous gardons de notre côté le souvenir vivace de trois longues, très longues, très très longues années de labeur soutenu et ininterrompu !

Prendre le temps de la réflexion

auto-construction choix familial partagéAvant de se lancer dans une telle entreprise, il est indispensable d’être très au clair avec son projet et d’en partager totalement les finalités en famille, pour être en capacité d’assumer son choix jusqu’au bout sans chercher à en faire porter la responsabilité à l’autre et de mobiliser ses ressources jusqu’à l’achèvement de la construction, notamment lors des inévitables périodes de fatigue, de démotivation, de démobilisation que tout un chacun traversera immanquablement à un moment ou à un autre.

Il est important de bien définir également au préalable le temps que l’on a idéalement envie de se donner pour concrétiser son projet et de rapprocher ensuite cette évaluation de ce dont on se sent capable de la disponibilité que l’on aura réellement à consacrer à ce chantier, afin de bien en confirmer la faisabilité avant même de se lancer.

auto-construction fin des vacancesEtes-vous par exemple prêt à renoncer quelque temps à vos vacances habituelles, à cette petite virée au soleil en plein hiver ou a contrario à votre semaine de glisse entre amis, ou encore à vos traditionnelles semaines de trêve estivale en famille, loin de toute contrainte et obligation ? Et la semaine de 7 jours, vous y avez également pensé ? Car il est plus que probablement que la notion même de WE deviendra rapidement un lointain souvenir, votre petite madeleine de Proust, à la douce saveur de ce temps d’avant cette drôle de décision !

Et puis, n’oubliez jamais, un chantier ne se passe jamais totalement comme prévu, il y a toujours des surprises, des impondérables, des imprévus, des contretemps, des complications, des empêchements … Bref, vous l’avez compris, pas besoin d’ajouter une couche supplémentaire (même si au cours d’un chantier d’auto-construction, cela finira probablement par devenir une véritable habitude !) : prévoyez toujours une marge de manœuvre suffisante pour mettre toutes les chances de succès de votre côté !

S’engager sans retour

Passer l’euphorie de la décision, puis de la conception sur plan, voir même des premières semaines de construction de la coque jusqu’à son retournement, dont les résultats sont rapidement visibles et conséquents, il faut être capable d’inscrire son effort dans la durée, faire preuve de patience et de ténacité quand une étape ou une manip ne se passe pas comme prévue.

auto-construction faire et défaireBertrand a ainsi dû se résoudre à arracher et à recommencer toute la stratification de sa coque réalisée une première fois avec des amis, tant en raison de l’inexpérience de ces derniers gentiment venus lui prêter main forte que de la forte chaleur qui régnait à ce moment-là, et qui a régulièrement conduit la résine époxy utilisée à catalyser très / trop vite !

Au delà du surcoût financier éventuel que cela peut représenter, défaire pour refaire n’est jamais gratifiant et avoir l’impression de perdre son temps peut être fortement démobilisant. Dans de telles conditions, il est parfois tentant de ne pas faire marche arrière et de continuer à avancer coûte que coûte, malgré le risque de différer un problème qui ne manquera pas de revenir en boomerang à un moment ou à un autre.

Alors qu’accepter de prendre le temps nécessaire pour contourner l’écueil permet souvent de toucher un vent nouveau, de regonfler sa motivation et de repartir de plus belle à l’aventure, fort de cette énergie renouvelée !

Enfin, un chantier d’auto-construction ne peut être réduit à un simple passe-temps intéressant, une sinécure, simplement parce que vous avez la passion de la voile et de la navigation chevillée au corps.

auto-construction travail de titanLe travail à accomplir apparaîtra parfois comme titanesque, les efforts à fournir délirants au regard de l’objectif initialement poursuivi, les sacrifices trop fréquents et répétitifs au quotidien.

Il est donc important de développer et de renforcer sa capacité à se projeter en permanence dans son projet et de ne jamais, au grand jamais, perdre de vue pourquoi nous nous sommes engagés dans ce que nous ne manquerons pas de qualifier de plus en plus souvent de vaste galère !

Persévérer et aller au bout de tout

Le travail de l’auto-constructeur ne s’arrête pas au moment où il quitte son chantier après 8h, 10h ou même 14h de labeur ininterrompue.

Les soirées, voire les nuits, sont aussi régulièrement mises à contribution car il faut toujours conserver un coup d’avance, avoir d’ores et déjà réfléchi à l’étape suivante pour se laisser le temps de :

  • se documenter sur telle ou telle technique que l’on ne maîtrise pas forcément de prime abord,
  • éplucher les comparatifs produits et les forums techniques pour bénéficier du retour d’expérience d’autres bricoleurs et pouvoir choisir ses produits,
  • organiser les appros et programmer les livraisons nécessaires
  • gérer sa trésorerie et si besoin temporiser certaines de ses dépenses.

Il ne faut pas se mentir, la vie quotidienne en prend un coup faute d’une grande disponibilité pour ses enfants, son conjoint, mais aussi pour soi-même.

Tous les membres de la famille sont mis à contribution, une nouvelle organisation est à mettre un place, un nouvel équilibre est à trouver, les charges et responsabilités individuelles s’alourdissent, il n’est donc pas rare que des tensions émergent au fil du temps.

C’est dans ces moments-là que votre réflexion initiale et partagée avec vos proches viendra vous sortir de ce mauvais pas.

Rappelez-vous votre objectif initial, ce rêve que vous partagez tous. Au besoin, organisez-vous pour le visualiser régulièrement en l’imprimant et en l’affichant en un lieu stratégique, fréquemment sous vos yeux.

auto-construction objectif 1 famille7 auto-construction objectifs 3

Célébrez tous ensemble chaque étape franchie, chaque difficulté dépassée, chaque réussite, pour vous aider à continuer à avancer malgré la fatigue chronique qui s’installe, la lassitude des mêmes gestes maintes et maintes fois répétés, la tentation d’en rester là, l’envie de tout envoyer valser …

Persévérez sans rien lâcher, et chaque journée passée vous rapprochera de l’aboutissement et de cette fierté profonde que vous ressentirez alors d’avoir résisté à toutes ces tempêtes et d’avoir créé ce magnifique navire de vos propres mains.

… Vers une aventure extraordinaire !

Se lancer dans un projet d’auto-construction doit absolument être mûrement réfléchi pour ne pas tourner au désastre en cours de route mais si votre volonté est solide et éprouvée, ce sera à n’en pas douter une aventure extra-ordinaire !

auto-construction oserLe simple fait d’OSER vous engager dans un tel projet qui sort des sentiers battus, d’affirmer votre ambition, de suivre le chemin de vos rêves, renforcera votre confiance en vous et vous aidera à déplacer des montagnes, à aller jusqu’au bout de votre chantier, à découvrir ces trésors de persévérance et de résistance que vous recelez en vous, envers et contre tous les avis pessimistes, défaitistes, négatifs, que vous ne manquerez pas d’entendre de-ci de-là.

auto-construction découvrir ses talentsOser vous imposera de sortir de votre zone de confort, et ce faisant, vous développez votre pouvoir d’agir, en testant de nouvelles idées, en apprenant de vos essais-erreurs, en vous adaptant à l’imprévisible. Vous développerez une approche, une méthode et des compétences qui vous seront propres et vous découvrirez sans nul doute vos talents et toute la richesse de votre potentiel.

Au delà de ce dépassement de soi qui vous permettra d’exprimer des ressources insoupçonnées jusqu’alors, vous lancer dans l’aventure d’une auto-construction vous offrira un voilier unique, un voilier sur-mesure pleinement adapté à vos besoins et à votre projet, un voilier auquel vous pourrez choisir de donner une identité propre, en lien avec vos goûts et vos valeurs et, pourquoi pas, avec une petite touche de fantaisie, aussi !

auto-construction yes we can !Alors oui, nous sommes vraiment heureux d’avoir vécu cette aventure particulière, fiers d’avoir été jusqu’au bout de notre projet malgré les difficultés rencontrées en chemin, satisfaits de nos choix initiaux et prêts à hisser enfin des voiles pour suivre nos rêves.

Mais aujourd’hui forts de cette expérience singulière, à la question «  Et si c’était à refaire ? », pour être franc et honnête avec vous, pour être totalement transparents, nous ne pouvons vous promettre de répondre à nouveau OUI d’une voix ferme et sans aucune hésitation !

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2 comments

  1. YOLO - Répondre

    Brabe effort que voilà.. le résultat est au bout de la chandelle ! Respect, BRAVO

  2. Aurore - Répondre

    Vous pouvez vraiment être plus que fiers d’avoir réussi à mener votre projet jusqu’au bout du bout!!!!
    Votre article m’a parlé jusqu’au plus profond de mon coeur, je m’y suis retrouvée presque à chaque ligne, il faut vraiment être dingue pour se lancer dans une telle aventure!
    Aujourd’hui que le plus gros du travail est derrière nous, nous commençons à ressentir également la fierté d’en être arrivés jusque là, et mesurons comme vous le travail titanesque que nous avons réalisé.
    Nous ne nous attendions pas à l’ampleur du chantier et des sacrifices, et si nous avions su, 3 ans auparavant…..eh bien joker!!!! Pas sûr non plus qu’on resignerait ;-))
    Bravo et à bientôt sur les flots
    OaOaTimka

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