Vent, vagues & courant : quand le trio infernal s’invite en navigation !

vent-vague-courantAprès quelques articles consacrés aux fichiers GRIB météo, nous vous proposons de nous intéresser aujourd’hui aux mécanismes à l’œuvre dans l’amplification des vagues dans les zones soumises à forts courants.

Cela nous donnera ainsi l’occasion de vous parler des modèles océanographiques de prévision de l’état de la mer et de leurs limites avant de vous faire découvrir un outil facilement accessible pour disposer de prévisions sur l’état de la mer si votre bassin de navigation est soumis à des courants côtiers relativement importants …

Nous avons choisi, pour illustrer cet article, d’étudier le passage du Raz Blanchard, situé entre le cap de la Hague à la pointe nord-ouest du Cotentin et l’île anglo-normande d’Aurigny, où sévit l’un des courants de marée les plus puissants d’Europe, dont la vitesse de ce courant peut atteindre jusqu’à 12 nœuds lors des grandes marées d’équinoxe !

Mais nous allons le voir, la mer peut devenir dangereuse et la navigation délicate avec des courants autrement moins puissants, c’est pourquoi il est conseillé de s’intéresser également à leur impact sur l’état de mer, en complément de l’analyse des phénomènes météos, avant de partir en navigation.

Une vidéo vaut toujours mieux qu’un long discours !

Comme pour les prévisions atmosphériques, il existe des modèles océaniques proposant des GRIB des courants côtiers relativement fins.

Avec une maille de 2,5 kms par exemple, voila visuellement ce que donne le courant au Raz Blanchard avec un coefficient de marée de 71. Avec ce coefficient pourtant moyen, le courant atteint déjà des vitesses de l’ordre de 5 à 6N, ce qui laisse songeur quant à la vigueur de ce dernier avec des coefficients plus élevés !

Selon une expression locale, franchir le Raz Blanchard s’avère délicat dans “bien plus de la moitié du temps” et il est aisé de comprendre les fondements de cette assertion …

Les instructions nautiques rappellent les recommandations suivantes pour toute navigation dans ce secteur :

  • Dans la mesure du possible, il est préférable de choisir un petit coefficient de marée et un vent modéré (à moins d’être aguerri, éviter le passage avec un vent au-dessus de 25 nds)
  • Passer à l’étale, c’est-à-dire lors de la renverse des marées, période où le courant est faible
  • Si les conditions précédentes ne peuvent être respectées, toujours passer lorsque le vent et le courant sont dans le même sens

Ces directives reposent principalement sur le fait que l’état de mer peut être profondément modifié sous l’action du courant. Les vagues se creusent, prennent de l’altitude, des tourbillons se forment. Des brisants apparaissent, qui chahutent, voir malmènent les voiliers …

Les limites des modèles océanographiques en navigation côtière

vent-vague-courantLa consultation du modèle EWAM par exemple, indique dans la visualisation ci-contre une mer totale d’une hauteur de 1,1 m, avec une période de 5 s et une direction venant du NE.

Or ce modèle utilise une maille d’une dizaine de km, ce qui n’est pas suffisant pour être pertinent à l’approche des côtes où le relief sous-marin devient très escarpé / découpé et influe sur le comportement des vagues et du courant.

La photo ci-dessous montre en effet l’échelle de la maille EWAM par rapport au passage du Raz Blanchard.

La prise en compte des reliefs côtiers par cette taille de maille y apparaît insuffisante pour permettre de modéliser les phénomènes côtiers, ainsi qu’au niveau du Raz Blanchard lui-même.

maille-modele-oceanique

Compte tenu de cette absence de fiabilité à proximité du rivage, les GRIB fournis par EWAM ne fournissent aucune donnée à l’approche du littoral, pour éviter d’induire les utilisateurs en erreur.

Attention toutefois, pour obtenir une belle carte GRIB, les principaux outils de visualisation extrapolent la plupart du temps les données du large jusqu’à la côte, ce qui peut faire masquer et faire oublier la présence de phénomènes exclusivement locaux et potentiellement dangereux comme un déferlement sur un haut fond ou un plateau de faible profondeur par houle de 2m ou l’existence d’une veine de courant puissante.

Il faut donc garder en tête que la majorité des modèles océanographiques permettent de connaître assez précisément l’état de la mer au large mais qu’ils ne sont pas adaptés aux zones côtières compte tenu de la taille de leur maille et où, par ailleurs, 2 facteurs peuvent modifier substantiellement l’état de la mer :

  • La remonté des fonds, qui modifie brutalement les caractéristiques des vagues arrivant du large, et conduit jusqu’à leur déferlement dans les zones les moins profondes tel que le rivage ou un haut fond.
  • L’action du courant sur les vagues, dont les effets sont fonction de la vitesse du courant relativement à la célérité des vagues et à la direction de ces dernières. Les courants côtiers de marée, qui sont de loin les courants les plus importants, impactent donc fortement l’état de la mer.

Apprendre à quantifier les effets du courant sur les vagues

Si, bien évidemment, il ne viendrait à l’idée d’aucun marin de passer le raz Blanchard lorsque le vent et la mer s’opposent au courant, voyons tout de même comment appréhender globalement ce phénomène afin de pouvoir réaliser l’analyse préalable de nos conditions de navigation.

Les vagues et le courant peuvent être soit dans le même sens, soit en sens contraire :

  • Quand les 2 phénomènes Vague / Courant sont dans le même sens, la hauteur des vagues diminue
  • Dans le cas contraire, la hauteur des vagues augmente et peut aller jusqu’à doubler, des vagues pyramidales peuvent se former

En effet, lorsqu’un courant rencontre des vagues, il ne modifie pas leur période mais diminue leur longueur d’onde et augmente leur hauteur.

L’escarpement, également appelé cambrure, qui correspond au quotient de la hauteur d’une vague par sa longueur d’onde, croît dans des proportions importantes. Le déferlement des vagues s’observe en eau profonde lorsque l’on atteint la valeur limite de cambrure de 1/7, soit environ 0,14.

Si vous naviguez dans une zone soumise à de forts courants, l’abaque ci-dessous vous permettra d’appréhender facilement les effets du courant sur les vagues sans passer par le calcul de la cambrure, en évaluant simplement le coefficient d’amplification des vagues, dont la hauteur est toujours estimée dans les GRIB en l’absence de courant.

abaque-vent-vague-courant

Pour utiliser cet abaque, il vous faudra toutefois connaître au préalable :

  • La vitesse du courant, que vous pourrez obtenir à partir des instructions nautiques, des fichiers GRIB ou de l’application Navionics par exemple,
  • La célérité des vagues, qui pourra être estimée à partir de la période des vagues fournie par les modèles océanographiques (disponible sur Windy ou via tout autre fournisseur de fichiers GRIB). En pratique, en eau profonde, on utilise l’approximation suivante :

Célérité (nœuds) » 3 * Période (en seconde)

Dans l’exemple utilisé au début de cet article, nous avions une période de 5 secondes, ce qui correspond à une célérité des vagues de 15 nœuds

Une fois ces 2 paramètres connus, vous serez en mesure de calculer le ratio nécessaire à la lecture de l’abaque :

Ratio = vitesse du courant / célérité des vagues

Toujours dans l’exemple initial du Raz Blanchard, nous avions une vitesse de courant d’environ 3N, que ce soit au flot ou au jusant, ce qui conduit à un ratio de ± 0,2, le signe indiquant si le vent, et donc les vagues, sont dans le même sens que le courant ou dans le sens contraire.

courant-rail-blanchardcourant-rail-blanchard-2

Ainsi, pour ce ratio de 0,2 :

– 0,2 en abscisse, c’est-à-dire avec un vent contre le courant, signifie que la vitesse du courant atteint 20% de la célérité des vagues.

Dans ce cas, l’amplitude des vagues, en ordonnée, se retrouve multipliée par environ 1,8.

Cet abaque montre que lorsque la vitesse du courant dépasse 20% de la célérité des vagues, l’amplitude des vagues croît rapidement et que la prudence doit alors être de mise !

A l’inverse, lorsque le courant et les vagues vont dans le même sens, soit pour un ratio de + 0,2 en abscisse, les vagues s’allongent et leur amplitude diminue légèrement, d’un coefficient de 0.8 environ.

Cet exemple montre clairement la dureté des conditions de mer qui peuvent se rencontrer au Raz Blanchard, dès que le courant commence à rencontrer les vagues. Ill est donc aisé de comprendre qu’avec des vagues dont la hauteur va doubler très rapidement, et ainsi présenter un escarpement important pouvant mener au déferlement, il est préférable d’éviter la zone lorsque vent et courant s’opposent !

Bien entendu, le Raz Blanchard reste une zone très particulière, particulièrement extrême, où la prudence doit être de mise de façon permanente.

Mais nul besoin d’atteindre des vitesses de courants très importantes pour voir l’état de la mer se modifier notablement. En effet, dès que les courants sont annoncés à 2/3 Nœuds, il est possible d’approcher le ratio critique de 0,2 vu précédemment, sans oublier que l’amplification de la hauteur des vagues et de leur cambrure peut aussi devenir notable bien avant, en cas d’une mer particulièrement formée.

Enfin, les courants forts ne sont pas l’apanage des côtes Atlantiques et de la Bretagne en particulier. Même en Méditerranée, de tels courants se rencontrent dans les détroits, tels que Messine ou Gibraltar.

Nous espérons que ces quelques explications vous permettront de mieux appréhender les conditions de mer réelles que vous pourrez rencontrer dans les zones soumises à forts courants.

Pensez désormais à prendre en compte ce paramètre lors de l’élaboration de votre stratégie de navigation pour garantir vos conditions de sécurité et profiter pleinement du plaisir d’être en mer.

Nous vous souhaitons bon vent, et bonne mer.

Si cet article vous a plu, n’hésitez pas à le liker et à le partager pour le faire connaître.

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2 comments

  1. Yvon - Répondre

    Bonjour, je navigue depuis quelques années, mais j’ai toujours l’impression d’être complètement débutant avec les notions de courants et marées. Il faut dire que je ne navigue qu’en Méditerranée, pas l’idéal pour se former à ces phénomènes. Dans les “bons réflexes” à adopter dès le début, il est mentionné “préférer partir lorsque vents et courants vont dans le même sens”. Bien que ça ne soit pas précisé, j’imagine qu’il faut comprendre “les emprunter lorsqu’ils sont tous deux favorables” ! D’autres part, il convient d’établir un horaire assez précis de sa sortie pour ne pas se faire surprendre au changement de marée. Ça m’a quand même l’air sacrément compliqué, et je ne m’aventurerais pas sans la pratique préalable avec un expert.
    Merci en tout cas pour ces mini-formations, bien faites et instructives.
    Yvon

    • Hélène & Bertrand - Répondre

      Bonjour,
      Effectivement, il vaut toujours mieux avoir le vent et le courant dans le même sens.
      Merci pour votre message.

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